9        LES ECRITS DES PERES APOLOGISTES DU 2ème Siècle

On désigne par Pères apologistes les pères de l'Eglise qui à partir du 2èmè siècle vont porter témoignage de leur foi devant les païens et les empereurs de cette époque. Ils vont sans cesse débattre de toutes sortes de questions relatives à la foi chrétienne et notamment des "hérésies". Les plus connus d'entre eux sont :

-          Justin Martyr (milieu du 2ème siècle)

-          Clément d'Alexandrie (fin du 2ème siècle)

-          Théophile d'Antioche (milieu du 2ème siècle)

-          Tertullien (fin du 2ème siècle)

-          Minucius Félix (milieu du 2ème siècle)

-          Tatien (milieu du 2ème siècle)

-           Athenagoras d'Athène

Tous ces apologistes vont s'efforcer de réfuter les nombreuses calomnies dont le christianisme fait alors l'objet et de montrer que celui-ci est une philosophie qui peut rivaliser d'égale à égale avec la philosophie grecque. En fait les apologistes vont procéder en quelque sorte au mariage entre la philosophie grecque néo platonicienne et le judaïsme revu et complété par le christianisme. Les concepts de "verbe"  ou "logos" vont s'associer à celui de fils de Dieu. Il est surprenant de voir comment les Pères utilisent abondamment ces concepts abstraits pour convaincre les païens en lieu et place de témoignages historiques remontant au personnage fondateur du Christianisme c'est à dire à Jésus de Nazareth. Hormis Justin les autres Pères  du milieu du 2ème siècle dont il est question ici n'utilisent jamais de référence à Jésus de Nazareth  dans leurs Apologies. L'interprétation chrétienne classique veut que le phénomène historique associé à Jésus soit quelque peu masqué pour ne pas choquer les païens plus enclin à entendre un discours philosophique général qu'une histoire invraisemblable. Il faut attendre la fin du 2ème siècle avec Tertullien et Clément d'Alexandrie pour voir Jésus placé au centre de l'apologie.

En fait selon l'interprétation mythique l'histoire en question qui s'élabore tout doucement au fil du temps commence seulement à être acceptée comme mythe fondateur par certains Pères tout en restant à l'écart du corps de doctrine principal, un peu comme une illustration que l'on ajoute à un texte pour mieux éclairer celui-ci et qui joue au demeurant un rôle secondaire. Les philosophies grecques étaient d'ailleurs elles mêmes accompagnées de mythes populaires avec leur lot de personnages extraordinaires et de surnaturel. On peut comprendre que la nouvelle philosophie chrétienne naissante qui comme on l'a dit plus haut représente une symbiose entre un certain platonisme et la tradition judaïque ait peu à peu intégré le mythe issu des évangiles. L'intégration du courant paulinien d'inspiration apocalyptique viendra compléter le tout pour donner naissance à la religion chrétienne telle que nous  la connaissons aujourd'hui.

Justin

Justin est né en Palestine et se convertit au christianisme sans doute à Ephèse. C'était auparavant un platonicien.

Il est décapité en 165 à Rome après un procès de martyre. Il est le premier à avoir révéler le contenu des réunions secrètes que les premiers chrétiens tenaient entre eux et qui faisaient scandales car l'on s'imaginait alors qu'elles comportaient des rites répréhensibles (obscénités et meurtres d'enfants).

Les œuvres de Justin sont : Le Dialogue avec le Juif Triphon et les deux Apologies (destinées aux empereurs Antonin et Marc Aurèle).Justin essaie de concilier philosophie platonicienne et christianisme en montrant que Jésus est le "Logos" incarné.

Justin est le premier auteur à citer explicitement des extraits des évangiles qu'il appelle La Mémoire des Apôtres. On peut donc raisonnablement penser que l'élaboration de ces documents est antérieure sans qu'il soit possible de prouver leur degré de complétude vers cette époque.

 

Tatien

Tatien est l'élève de Justin. Il est célèbre pour avoir rédiger une œuvre : Le Diatessaron qui représente une sorte de compilation globale des quatre évangiles. Pourtant dans son Apologie aux Grecs Tatien  n'utilise aucune référence à Jésus lorsqu'il s'agit de convaincre ses interlocuteurs. Il n'y est question que de Dieu et du "Verbe".

Il confesse même dans cette Apologie (chap. 21) que le Christianisme comporte également son propre mythe semblable aux mythes grecs ce qui pourrait constituer un argument de nature à rassurer les païens sceptiques devant cette nouvelle philosophie. (Pour plus de détails voir E.Doherty : Second Century Apologists).

On trouve ainsi les deux facettes du christianisme : Le mythe des Evangiles et la philosophie issue du Judaïsme qui sont encore séparés et qui sont traités sur des plans différents. L'histoire racontée dans les Evangiles ne sera complètement assimilée qu'avec les Apologistes de la fin du deuxième siècle : Tertullien et Clément d'Alexandrie.

 

Théophile d'Antioche

Theophile est Evêque d'Antioche vers 168 après J.C. Sa principale œuvre s'intitule : A Autolycus.

Comme les autres apologistes Théophile ne mentionne jamais le fondateur historique du christianisme et ne nomme jamais Jésus Christ. Les évangiles sont mentionnés non comme l'Histoire vécue de Jésus mais comme les paroles inspirées de Dieu. Lorsqu' Autolycus lui demande une preuve de résurrection Théophile ne mentionne  même pas celle de Jésus.

L'accent est mis sur le Dieu d'Israël , les prophètes et le "verbe" incarné.

 

Athénagoras d'Athène

L'œuvre d'Athénagoras est une apologie intitulée "Une Plaie pour les chrétiens" et destinée à l'Empereur Marc Aurèle.

Il y est question une fois de plus du Logos et du fils de Dieu mais pas de son incarnation en la personne de Jésus de Nazareth. Jésus Christ n'est d'ailleurs jamais mentionné. Il parle de philosophie platonicienne et des mythes grecs mais pas de la vie terrestre de celui qui est au centre de la religion naissante. Quelques maximes chrétiennes semblables à celles du Sermon sur la Montagne sont citées mais sans référence aucune à leur auteur présumé.

 

Minucius Félix

L'œuvre de Minucius Félix  est un traité appelé "Octave" rédigé en Latin et datant probablement du mileu du deuxième siècle. Il y est question de la résurrection des morts mais pas une seule fois de  celle de Jésus  qui n'est d'ailleurs jamais mentionné dans toute l'œuvre. Le plus surprenant est que l'auteur se moque de ces mythes païens où des hommes meurent et deviennent des dieux qui engendrent à leur tour d'autres dieux. Il se moque également des soi-disant dieux qui accomplissent des miracles.

Minuciux Félix est un des rares apologistes (avec Justin) qui essaie de réfuter les accusations infamantes dont les premiers chrétiens sont l'objet . Ceux-ci sont en effet accusés de pratiquer par exemple des sacrifices d'enfants au cours de réunions secrètes. Parmi ces accusations figure celle de vénérer un homme mort sur une croix. Minuciux Félix dément alors en bloc toutes ces accusations sans jamais essayer d'expliquer que cette dernière constitue pourtant le cœur même de la nouvelle foi.

 

Irénée,Clément d'Alexandrie et Tertullien

 

Les trois derniers pères apologistes et certainement les plus importants de cette époque partagent avec les autres pères le goût pour la philosophie grecque (ils vivent tous dans un monde imprégné de culture hellénistique) et vont donc continuer dans la ligne du mariage de cette philosophie avec la théologie chrétienne naissante.

A la différence des autres pères ils semblent avoir complètement intégré le récit des évangiles qui devient de ce fait le "canon" des écritures chrétiennes. On peut dire qu'avec eux commence la période "classique" du dogme.

Irénée, évèque de Lyon qui a connu Polycarp fait explicitement référence à l'évangile selon Saint Jean mais n'est pas très bavard sur son contenu. S'il est vrai que les évangiles semblent être définitivement admis vers la fin du deuxième siècle leur contenu pourtant si riche (vie de Jésus, miracles, paraboles …)est rarement commenté.

Dans son combat contre les hérésies (Gnosticisme et Docétisme) Irénée ne s'appuie jamais sur ces récits pourtant si fondamentaux. Il est cependant à l'origine de la constitution  du "canon" biblique.

Clément d'Alexandrie ainsi appelé parce qu'il passa une grande partie de sa vie dans cette ville part en lutte contre le paganisme et fait l'apologie d'un christianisme  synthèse de la philosophie grecque  et des traditions religieuses de son époque (Judaïsme) mais sans références directes à Jésus de Nazareth. Le Christ est pour lui "La Raison incarnée". Le Christianisme est ici dépeint comme une nouvelle philosophie. La vie et les enseignements du fondateur de cette nouvelle religion sont complètement passés sous silence. Cette attitude commune à la plupart des premiers Pères de l'Eglise est tout simplement incompréhensible selon les points de vue chrétien et rationaliste.

Indépendamment des textes évangéliques Tertullien dans son Apologie prétend que Tibère a pris la défense de Jésus devant le Sénat romain ce qui aux yeux de certains historiens constituerait une confirmation indépendante de l'existence de Jésus. Cependant l'authenticité du texte est discutable dans la mesure où aucun commentateur contemporain ne cite ce passage et également à cause du fait bien connu celui là de l'intolérance de cet empereur envers les cultes étrangers. Il est extrêmement improbable en effet qu'un empereur romain quel qu'il soit ait d'ailleurs pu prendre la défense d'un personnage qu'il ne pouvait connaître que par des témoignages chrétiens indirects.

 

 

 

 

 

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